Histoire de la pédagogie : qui est le père ?

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Aucun traité d’éducation du XVIIe siècle n’a connu une diffusion comparable à celui de Comenius. Dans l’Europe marquée par les guerres de religion, ses ouvrages circulent largement, traduits en plusieurs langues dès leur publication. Malgré ce rayonnement, la filiation de ses idées reste longtemps éclipsée par des courants pédagogiques ultérieurs.

L’influence de Comenius sur les théoriciens modernes ne s’appuie ni sur la continuité, ni sur l’adhésion explicite. Pourtant, ses principes, posés en rupture avec les méthodes scolastiques de son époque, préfigurent des approches qui inspireront Rousseau, Freinet ou Montessori. Les contours de la pédagogie contemporaine portent la trace de cette origine complexe.

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Comenius, une figure clé de l’histoire de la pédagogie

Le 28 mars 1592, à Uherský Brod en Moravie, naît Jan Amos Komenský, figure que l’on retiendra sous le nom de Comenius. Ni simple théoricien ni rêveur isolé, mais penseur en mouvement, il traverse une Europe traversée de conflits religieux, exilé pour sa foi, porté par une détermination qui ne fléchit jamais. Pasteur des Frères moraves, minorité protestante traquée, il quitte sa terre natale. Dans ses malles, une vision de l’éducation qui tranche avec l’ordre établi.

Comenius ne se contente pas d’empiler les pages. Il façonne des concepts, imagine des écoles, bouscule l’ordre social : l’éducation doit s’ouvrir à tous. Surnommé le « Galilée de l’éducation », il défend l’accès au savoir pour chaque enfant, sans distinction d’origine ou de statut. Son engagement religieux aiguise ce combat : la transmission du savoir, jusque-là verrouillée par les élites, devient une exigence qui conjugue justice sociale et responsabilité spirituelle.

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La trajectoire de Comenius épouse les soubresauts du XVIIe siècle. Exilé à Amsterdam, il multiplie ouvrages et projets, de la « Grande Didactique » à l’Orbis sensualium pictus. Il propose une organisation scolaire en quatre étapes, du jardin d’enfants à l’académie, jette les bases d’une pédagogie nouvelle, bannit le recours à la violence, mise sur l’éveil sensoriel. Sa pensée, audacieuse hier, reste stimulante aujourd’hui. L’influence de Comenius, diffuse mais réelle, se retrouve de Rousseau à Freinet, jusque dans les réformes éducatives actuelles qui cherchent à rendre l’école plus juste, plus vivante.

Quelles idées révolutionnaires a-t-il apportées à l’éducation ?

Jan Amos Komenský, ou Comenius, n’a jamais accepté de suivre la voie tracée par la tradition. Avec La Grande Didactique, il taille un chemin inédit : l’éducation ne doit plus être réservée à quelques-uns. Il évacue l’arbitraire et la brutalité. L’école doit accueillir chaque enfant, peu importe son origine, sa confession, son sexe ou sa richesse. Cette conviction, rare au XVIIe siècle, pose les fondations d’une pédagogie tournée vers l’universalité.

Comenius élabore une organisation pédagogique structurée. Son système en quatre degrés, maternelle, école publique, secondaire, académie, respecte le rythme de l’enfant, adapte l’enseignement à chaque étape du développement. Pour lui, l’enseignant n’est pas un simple transmetteur, mais un guide attentif. L’enfant apprend mieux en observant, en touchant, en expérimentant. L’expérience sensorielle prime sur la récitation.

Avec l’Orbis sensualium pictus (1658), Comenius innove : il place l’image au cœur de l’apprentissage, fait de l’illustration un outil pédagogique. Le jeu, la manipulation, la curiosité deviennent moteurs du savoir. Châtiments corporels ? Refusés. Il privilégie une relation fondée sur la confiance, la rigueur bienveillante. Sa Pansophia vise une société où chacun, instruit, peut exercer son jugement de façon autonome.

Pour rendre compte des avancées concrètes de Comenius, voici les piliers de sa pensée :

  • Éducation universelle : l’école ouverte à tous, sans barrières
  • Apprentissage par les sens et l’expérience : priorité à l’observation et à la manipulation
  • Valorisation des images, du jeu, de la curiosité
  • Refus des punitions violentes : place au respect

Le souffle de ces idées traverse encore les débats sur l’école, la pédagogie et la place de l’enfant.

Comparer Comenius, Rousseau, Freinet et Montessori : influences croisées et divergences

Comparer Comenius, Rousseau, Freinet et Montessori, c’est mettre en regard des approches éducatives qui ne se superposent jamais tout à fait, même quand elles se répondent. Comenius pose les premiers jalons : universalité de l’accès au savoir, organisation structurée, primat de l’expérience concrète. Ce socle irrigue tout le XVIIIe siècle. Rousseau, quant à lui, place l’enfant au centre, défend sa spontanéité, refuse que l’institution impose ses codes. Il se méfie de la transmission académique et préfère la croissance libre, mais il rejoint Comenius sur la nécessité de respecter le rythme de l’enfant et d’exclure la violence.

Freinet, dans la lignée de cette contestation, va plus loin. Il donne la parole à l’enfant, fait de l’école un espace d’expérimentation et de coopération. Il n’organise pas, il libère : l’autonomie, la créativité, l’expression individuelle deviennent centrales. Montessori, de son côté, pousse la logique sensorielle à son aboutissement. L’environnement, soigneusement préparé, permet à l’enfant d’apprendre à son rythme, en manipulant, en testant, sous l’œil attentif de l’adulte.

Voici ce qui distingue et relie ces figures incontournables :

  • Comenius : accès universel, organisation structurée, apprentissage par l’expérience
  • Rousseau : développement naturel, singularité de l’enfant, défiance vis-à-vis des institutions
  • Freinet : coopération, expérimentation, expression individuelle et collective
  • Montessori : autonomie, manipulation concrète, environnement adapté

La circulation des idées entre ces pédagogues n’a jamais été linéaire. Comenius inspire Rousseau, qui à son tour influence Fröbel, mais chacun réinvente la relation entre maître et élève, le rôle du savoir, la place de la collectivité. L’idéal de démocratisation de l’école, fil conducteur discret mais puissant, relie la Moravie de Comenius aux classes Freinet et aux ambiances Montessori d’aujourd’hui.

pédagogie historique

De la pensée de Comenius à la pédagogie contemporaine : quelles traces aujourd’hui ?

Comenius, pasteur exilé pour ses convictions, n’aura jamais cessé de bousculer la réflexion éducative. Son influence déborde largement le XVIIe siècle et la Bohême. Sa vision irrigue les réformes en Suède, en Angleterre, en Hongrie, et nourrit aujourd’hui encore l’ambition d’une école pour tous.

La Pansophia de Comenius, cette aspiration à une sagesse universelle, résonne dans toutes les politiques éducatives qui cherchent à abolir les barrières. L’organisation en quatre degrés, de la maternelle à l’académie, préfigure la structure de l’école européenne moderne. L’apprentissage par le jeu, le refus des brimades, la place accordée à l’image et à la découverte sensorielle sont devenus des références incontournables dans les démarches pédagogiques les plus actuelles.

Depuis 1995, le programme Comenius met à l’honneur cette tradition d’ouverture et d’échanges : des écoles de toute l’Europe partagent leurs pratiques, font vivre la diversité, tissent une culture commune de la transmission du savoir. Ce choix n’est pas symbolique : il rappelle combien la pensée de Comenius continue d’alimenter chaque réforme qui cherche plus d’égalité, d’engagement des enseignants, de sens dans l’expérience scolaire.

Retenons quelques marques concrètes laissées par Comenius dans l’éducation d’aujourd’hui :

  • Ouverture à toutes les diversités
  • Lutte contre les inégalités
  • Place centrale donnée à l’élève et à son vécu

Comenius n’est plus là, mais chaque matin, quelque part en Europe, un enfant franchit le seuil d’une école qui lui doit beaucoup plus qu’il ne l’imagine.